Revisiter la qualité de l’éducation en Afrique pour les objectifs de développement durable

Au cours des 27 dernières années qui ont suivi la Conférence sur l’éducation de Jomtien en Thaïlande, la qualité de l’éducation en Afrique a fait l’objet de nombreux débats. Les institutions des Nations Unies comme l’UNESCO et l’UNICEF ainsi que la Banque mondiale, l’Union africaine et le Commonwealth ont tous étudié à fond la problématique de la qualité de l’éducation en Afrique. Les sept Biennales et les deux Triennales que l’ADEA a organisées depuis 1993, ont beaucoup mis l’accent sur la dimension de la qualité dans les problèmes relatifs à l’éducation : les Biennales de 1997 et de 2001 ont porté exclusivement sur la qualité de l’éducation en Afrique. Mais qu’avons-nous réalisé à ce jour pour intégrer complètement la composante de la qualité dans l’éducation africaine ?

Plusieurs éléments doivent être examinés lorsque nous discutons de la qualité de l’éducation. Nous devons être attentifs à ne pas confondre « efficacité institutionnelle » et qualité de l’éducation. En d’autres termes, nous devons pouvoir faire la différence entre « éducation » et « scolarité ». On peut considérer l’éducation comme « le développement des qualités souhaitables chez un individu », en sachant que les fins de l’éducation sont la condition préalable de tout examen détaillé d’une scolarité de qualité. D’autre part, l’éducation est également la fourniture d’un service qui consiste à instruire les jeunes au moyen d’un apprentissage « organisé » institutionnalisé et universalisé.

Traditionnellement, la perspective économique emploie des extrants quantitatifs, chiffrables pour mesurer la qualité. Les taux de scolarisation et de rétention, les taux de retour sur investissement en éducation concernant les revenus et les acquis cognitifs, tels qu’ils sont mesurés dans les enquêtes nationales ou internationales, en sont par exemple le reflet. Par ailleurs, ce que nous connaissons comme tradition progressiste ou humaniste tend à mettre davantage l’accent sur le processus éducatif. Le mot « indicateurs » implique une approche positive pour mesurer la qualité et a ainsi tendance à être utilisé dans le cadre de cette tradition. Nous fondons nos jugements sur ce qui se passe dans les écoles et en classe. On considère les connaissances cognitives de base, la maîtrise de la lecture, de l’écriture et du calcul ainsi que la culture générale indispensables à la qualité. Nous reconnaissons toutefois également les écoles comme des lieux où les apprenants acquièrent des attitudes et des valeurs culturelles, et il s’ensuit que nous incluons les caractéristiques comme les pédagogies centrées sur l’apprenant, la gouvernance démocratique des écoles et l’inclusion dans les notions de qualité de l’éducation.

Nous associons chacune de ces approches divergentes à une grande organisation internationale du développement. La perspective économique a tendance à dominer la pensée sur l’éducation de la Banque mondiale. La Banque mondiale est une banque, et par conséquent, elle justifie ses prêts pour le développement de l’éducation par leurs rendements financiers publics. La perspective économique est centrée sur l’investissement en vue d’améliorer la fourniture d’enseignement primaire et elle l’a rationalisé en termes de développement économique et social. Elle s’est appuyée sur les travaux des théoriciens du capital humain pour avancer que l’éducation est une condition nécessaire, mais insuffisante, du développement économique national. Les rapports ont établi un lien entre l’analyse du taux de rendement de la Banque mondiale et l’éducation pour obtenir un gain plus élevé. D’autres études de la Banque mondiale ont également été utilisées pour soutenir que l’éducation est à mettre en relation avec une productivité élevée dans le secteur agricole. D’autres arguments ont associé le soutien à l’enseignement primaire et le développement social en faisant référence aux études reliant les taux de fécondité, l’amélioration de la santé infantile et de la nutrition et une attitude moderne face à la scolarité primaire. On entend par attitude moderne : « adopter les croyances rationnelles, empiriques et égalitaires qui sont la condition préalable au fonctionnement efficace des institutions politiques et économiques requises pour le développement ». Les chercheurs utilisant les données actuelles et l’analyse statistique sophistiquée continuent de faire valoir les mêmes arguments en faveur de l’investissement dans l’enseignement primaire. Les chercheurs adoptant la perspective économique ont même débattu de l’importance des « compétences cognitives », en mettant l’accent sur l’alphabétisme et le calcul comme étant la principale passerelle entre l’éducation et le développement.

Depuis sa création, l’UNESCO considère que l’éducation est essentielle, mais insuffisante, pour le développement humain et qu’elle offre des avantages culturels, et même spirituels. Nous prenons actuellement conscience de cet accent mis par l’UNESCO à travers ses « thèmes » qui sont à la frontière de la diversité culturelle et linguistique dans l’éducation. Ils se démarquent également par les questions centrées sur l’éducation à la paix et aux droits de l’homme, l’éducation inclusive et l’éducation au développement durable. Rappelons que les Nations Unies ont déclaré 2005-2014 comme « La décennie de l’éducation pour le développement durable ». Selon l’UNESCO, l’Éducation au Développement Durable (EDD) donne les moyens aux personnes de changer la manière dont elles pensent et travaillent à la réalisation d’un avenir durable.

L’UNICEF considère la définition et la réalisation d’une éducation de qualité comme un défi en cours, avec un débat permanent sur ce que signifie la qualité dans l’éducation et comment l’évaluer sous l’angle plus « global et complet » d’une éducation de qualité fondée sur les « Écoles amies des enfants ». Ceci inclut d’élaborer et d’adopter des normes de qualité, de renforcer les capacités des enseignants sur la qualité de l’apprentissage et l’enseignement fondé sur l’approche des « Écoles amies des enfants », et de promouvoir un cadre scolaire propice.

Le Rapport Delors intitulé : « L’éducation : un trésor est caché dedans », publié en 1996, contenait la vision de l’UNESCO d’une éducation globale. Le rapport est fondé sur les quatre piliers de l’éducation, à savoir : « apprendre à connaitre, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble, et apprendre à être ». Le rapport Delors a influencé l’élaboration du concept de Compétences utiles pour la vie qui incorpore les attitudes sociales, les connaissances fondamentales et les compétences pratiques. Les compétences utiles pour la vie comprennent les compétences professionnelles, les compétences pratiques et les connaissances qui jettent les bases permettant aux jeunes d’être productifs sur le plan économique quand ils entrent dans le monde du travail, mais leur éventail est beaucoup plus large. On peut considérer que les nouveaux domaines curriculaires ou les thèmes transversaux, comme l’éducation à la paix, la santé ou l’éducation sont centrés sur les piliers relativement négligés d’apprendre à vivre ensemble et d’apprendre à faire. Ils ont tous constitué la base dont nous avons tiré toutes ces questions relatives à la qualité dans l’éducation au fil des années.

Le mouvement de l’Éducation Pour Tous (EPT) a adopté la position humaniste sur l’éducation. La raison d’être sous-tendant l’adoption de cette position idéologique particulière pour interpréter et hiérarchiser les priorités repose sur la logique binaire visant à promouvoir le développement humain et les droits de l’homme. Une fois les objectifs fixés, les gouvernements, les ONG et les organismes partenaires externes ont été encouragés à coopérer en vue de trouver et de mettre en œuvre des stratégies afin de les afin atteindre. Les arguments des documents de l’EPT ont influencé le débat sur la qualité de l’éducation des gouvernements et des institutions, y compris la Banque mondiale, dans le monde. L’origine commune de l’approche humaniste, dont l’UNESCO est le plus grand défenseur au plan international, et de l’approche économique de la Banque mondiale réside dans la Conférence de Jomtien et le mouvement mondial de l’EPT qui en a résulté. La Déclaration de 1990 sur l’Éducation pour tous a appelé à l’universalisation de l’enseignement primaire, un objectif sur lequel le Forum mondial sur l’éducation organisé à Dakar a mis l’accent en 2000 et qui a constitué le deuxième des Objectifs du Millénaire pour le développement.

Le Cadre d’action de Dakar a soutenu l’engagement de la Déclaration mondiale d’améliorer l’accès et la qualité. Le Cadre régional pour l’Afrique subsaharienne a stipulé que les domaines d’action prioritaires seraient « l’accès et l’équité, la qualité et la pertinence, le renforcement des capacités et les partenariats ». Les signataires du Cadre d’action de Dakar se sont engagés à améliorer la qualité ainsi que l’accès. Le Cadre de Dakar a également réaffirmé l’engagement de Jomtien à réaliser la parité entre les genres dans l’éducation de base et à satisfaire les besoins d’apprentissage des groupes défavorisés, et plus particulièrement les handicapés. Le Cadre de Dakar a renforcé l’accent mis sur la qualité, bien plus que tout autre texte ratifié au plan international dans le passé. Il a appelé à l’équité et l’inclusion en matière d’accès et d’acquis scolaires. Il a également mis en évidence les résultats d’apprentissage comme indicateurs clés de la qualité de l’éducation et il a appelé à intégrer les compétences utiles pour la vie dans les programmes d’enseignement de l’éducation de base, lesquelles englobent les piliers « apprendre à vivre ensemble » et « apprendre à être » définis dans le rapport Delors.

Le Rapport mondial de suivi 2005 sur l’Éducation pour tous a mis l’accent sur la qualité de l’éducation et sur les progrès accomplis vers la réalisation des OMD et des résultats de développement connexes. Il a été fait mention à maintes reprises aux différentes composantes de la qualité de l’éducation que l’on peut utiliser pour servir de cadre analytique utile au concept. Nous identifions ces éléments comme suit : efficacité, efficience, égalité, pertinence et durabilité. Ces cinq domaines ont constitué la base pour analyser les innovations de l’éducation visant tout aspect du système éducatif, comme les changements politiques, l’administration nationale, les collectivités locales et les interventions en classe.

L’Agenda 2030 de développement durable, approuvé il y a deux ans par les Nations Unies, est un engagement intergouvernemental et « un plan d’action pour les personnes, la planète et la prospérité ». Il comporte 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) intégrés et indivisibles qui assurent l’équilibre entre les trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale. Ces objectifs confirment l’échelle et l’ambition de ce nouveau programme universel. L’éducation est au cœur de la réalisation de ce nouveau programme de développement. Elle représente un objectif distinct (ODD 4), avec sept cibles de résultats et trois moyens de mise en œuvre. L’objectif de la qualité de l’éducation est le suivant : « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». L’éducation dans l’Agenda 2030 de développement durable ne se limite pas uniquement à l’ODD 4. Les cibles de cinq objectifs mentionnent spécifiquement l’éducation et la relient avec presque tous les autres ODD d’une manière ou d’une autre. Ces objectifs incluent la santé et le bien-être, l’égalité entre les sexes, un travail décent et la croissance économique, la consommation responsable et la production, et l’atténuation du changement climatique. L’éducation est, par conséquent, la clé de l’épanouissement humain, de la préparation pour le monde du travail et elle contribue au progrès social et au changement social. L’Agenda 2063 de l’Union africaine et sa stratégie continentale pour 2016-2025 formulent également ces points. L’ODD 4–Éducation 2030 renouvelle l’accent mis sur l’apprentissage actif et l’acquisition des connaissances, compétences et savoir-faire pertinents. Il se concentre également sur la pertinence de l’apprentissage, à la fois en termes de compétences professionnelles et techniques pour un travail décent, ainsi que sur la citoyenneté mondiale dans un monde pluriel, interdépendant et interconnecté.